En Anjou. La gestion des terres agricoles, c'est le "Far West"

Le 21 juillet, la Safer avec les syndicats de la FDSEA et des Jeunes agriculteurs 49 dénonçaient l'accaparement des terres par certains agriculteurs. Une limite a été franchie avec un "vol" de récolte.

27 juillet 2023 à 17h34 par Alexis Vellayoudom

FDSEA Safer Accaparement terres_21 07 23_AVC
La FDSEA et la Safer veulent dénoncer l'accaparement de terres agricoles par certains agriculteurs
Crédit : Alexis Vellayoudom

La FDSEA 49 et la Safer sortent du silence. Le vendredi 21 juillet, une trentaine d'agriculteurs se sont réunis sur une parcelle à Chazé-sur-Argos. Les syndicats et la Safer, société d’aménagement foncier et d’établissement rural, ont dénoncé l'accaparement de terres agricoles par certains agriculteurs. En clair, une poignée d'agriculteurs reprendraient des terres au mépris des réglementations et en jouant sur la surenchère sur les prix du foncier. Une pratique devenue monnaie courante dans le Haut-Anjou.  

 

La récolte de la colère

 

"Ça fait plusieurs années que ça existe, mais là, c'est la goutte de trop", lâche Frédéric Robert, vice-président de la FDSA 49. À côté de lui, Vincent Philippeau, l'un des trois associés du GAEC de la Cottinaie, bouillonne. Il est remonté. Une partie de sa parcelle de 10 hectares blé a été récoltée. Par qui ? Pas par lui. Pour comprendre ce qui se trame, il faut remonter le temps. Depuis 1988, Vincent et ses deux associés louent cette parcelle à un propriétaire mayennais, "le bail de la parcelle était au nom de mon frère", précise Vincent. En novembre 2022, le GAEC ensemme la parcelle dont ils sont locataires, pour la récolte de l'été. Sauf qu'un événement vient tout chambouler, le frère de Vincent, associé, doit partir en retraite au 1er janvier 2023.

 

Vincent Philippeau raconte la journée du 13 juillet
Crédit : Alexis Vellayoudom

 

Très vite, les deux compères trouvent un troisième associé, un jeune qui souhaite s'installer, "sauf que suite au départ de mon frère, par l'intermédiaire du notaire, on apprend que le propriétaire veut vendre. Le blé était déjà semé. On a fait une proposition d'achat à 3 500 €, il l'a refusée, il en voulait plus, 6 000 € l'hectare, c'est son choix, mais nous on voulait la garder donc on a demandé à la Safer de nous aider. Et à ce jour la parcelle n'est pas vendue". Le 9 mai, le propriétaire envoie un congé au GAEC, lorsque le blé arrive presque à maturité. Et la stupeur gagne ces agriculteurs lorsque le 20 juillet, Vincent est alerté par des passants, "on a constaté que des gens sont venus récolter notre parcelle de blé. Ils nous ont dit qu'ils avaient été mandatés par le propriétaire alors qu'on était toujours locataire". 

"C'est du vol", s'insurge Alain Denieulle, élu à la Safer. "Le propriétaire n'avait pas le droit de récolter puisqu'en vous êtes propriétaires, pour récolter, il faut être agriculteur et payer de la Mutualité sociale agricole. Et puis la personne qu'est venue, elle s'est targuée d'être une entreprise de travaux agricoles, j'ai regardé leurs statuts, elle n'est pas entreprise de travaux agricoles donc elle n'avait pas le droit d'être là". Une plainte a été déposée pour vol. 

 

Un accaparement des terres

 

C'est la première fois qu'une telle histoire va aussi loin. En cause l'accaparement de terres agricoles par certains agriculteurs. Ce jour-là, l'agriculteur, qui a récolté le blé du GAEC de la Cottinaie, est bien connu du territoire. Il est d'ailleurs souvent pointé des doigts. "Ils ont des exploitations assez conséquentes, souvent multi-sociétaires, une volonté de s'agrandir notamment pour mettre des méthaniseurs et ça fait une pression foncière plus importante", décrit l'élu de la Safer. En clair, lorsqu'une parcelle est remise en vente, ces exploitations jouent la surenchère financière auprès des cédants ou des propriétaires, "je ne sais pas si c'est plus simple pour un cédant ou un propriétaire de mettre à des gars comme ça, qui ont des sous et qui sont prêts à payer et rapidement", s'insurge Frédéric Robert.

 

Alain Denieulle décrit ces agriculteurs qui s'accaparent des terres
Crédit : Alexis Vellayoudom

 

"Ils ont peur de ne pas pouvoir trouver de jeunes donc la première sirène qui sonne, ils disent "on prend le gars", même si c'est quelqu'un qu'en a déjà 800. Surtout, si c'est quelqu'un qui est capable de donner un dessous de table, ce qui arrive assez souvent. Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas faites dans les règles", ajoute Alain Denieulle. Les syndicats dénoncent aussi le jeu des notaires, "il y a un côté économique derrière".  

 

L'installation des jeunes agriculteurs menacée

 

Et le phénomène entrave, bien souvent, l'installation de jeunes agriculteurs. C'est le cas de Nicolas, 22 ans. Il y a deux ans, ce fils d'agriculteur décide de préparer son installation sur Chazé-sur-Argos. Il se positionne sur 13 hectares, mais le même GAEC, impliqué dans le vol de récolte, joue la surenchère : "c'était plus facile pour le cédant et mon projet d'installation est tombé à l'eau. Ce qui m'énerve, c'est qu'admettons, ils achètent ces terres à 6 000 € l'hectare, ça va mettre une base de prix à Chazé où c'est pas de la super terre. Donc ça veut dire dans les bonnes terres, ça va monter à 8 000 €, mais aujourd'hui pour un jeune, c'est impossible. Et aujourd'hui, je me rends compte qu'il y a de moins en moins de fermes autour de chez moi et je vais devoir m'en aller". Vincent Philippeau, dont le jeune associé n'a pu s'installer, ajoute : "on veut des terres à des prix corrects avec la capacité pour les jeunes de pouvoir s'installer". 

 

L'installation des jeunes agriculteurs menacée ?
Crédit : Alexis Vellayoudom

 

La FDSEA dénonce cette pratique : "un parcours à l'installation, on sait que c'est un tout petit peu plus long. Faut mettre les chiffres en face que quand le propriétaire ou le cédant cèdent à des fermes comme ça où c'est simplement pour faire de la culture, c'est au détriment de l'élevage. On voit bien dans le Segréen, les clôtures ont disparu depuis au moins 20 ans". "Si ce sont les céréaliers qui prennent la place des éleveurs, demain, vous n'aurez plus de haies, vous n'aurez plus de biodiversité et vous n'aurez plus d'éleveurs", ajoute Alain Denieulle. 

 

La Safer joue-t-elle vraiment son rôle ? 

 

La Safer dénonce ce phénomène, mais est-elle exempt de tout reproche ? Non, selon un agriculteur qui nous a contacté après avoir entendu un représentant sur nos ondes. Pour Gilles Porcher, agriculteur au Lion d'Angers, l'organisation contribue à ce système d'accaparement. Il dénonce des arrangements entre copains. Exemple avec une parcelle de 20 hectares près de chez lui dont la Safer était propriétaire, "elle a été attribuée à une exploitation qui n'avait pas besoin de cette surface parce qu'ils n'avaient pas de jeune à installer. Ils avaient déjà une surface du double de la nôtre. Mon fils, jeune agriculteur, voulait s'installer. Il s'est présenté candidat et finalement elles ne lui pas été accordées. Et c'est la Safer qui était propriétaire donc elle avait tout pouvoir pour l'accorder à un jeune qui voulait faire de l'élevage plutôt qu'à un agrandissement céréalier donc pour moi, la Safer ne peut pas dénoncer ce genre de comportement de la part de certains agriculteurs alors qu'elle-même le pratique", témoigne Gilles. 

 

Gilles Porcher pointe les incohérences de la Safer
Crédit : Alexis Vellayoudom

 

Ce père et son fils ont dû s'adapter et s'orienter vers des prairies naturelles près des Ponts-de-Cé, "on s'est dit ça fait loin, mais on n'a rien autrement. Ce que la Safer nous fait faire, c'est d'aller prendre des terres à 30 km de chez nous alors qu'il y en a juste auprès de chez nous qu'elle pourrait nous accorder, mais elle ne le fait pas", s'agace Gilles. 

Tous réclament une meilleure action des instances, "l'administration ne fait pas son boulot et assez de contrôle. Il y a un moment, il y a des règles qui ont été définies, il faut les appliquer", martèle Frédéric Robert.