À Laval, une lutte contre les troubles du langage dès la crèche

Après plusieurs constats des enseignants dans les écoles, la ville de Laval a lancé un programme éducative pour lutter contre les troubles du langage chez les enfants issus de familles étrangères et en situation de précarité.

15 juin 2023 à 8h21 par Alexis Vellayoudom

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L'association Afalac intervient auprès des crèches pour remettre de l'interaction chez les enfants
Crédit : Alexis Vellayoudom

Les derniers chiffres sont alarmants. Selon Santé Publique France, 4 à 6% des enfants français "présentent des troubles primaires du langage, non liés à une pathologie". Des troubles en partie dus la place des écrans, devenue trop importante dans le quotidien des enfants, notamment chez les moins de 2 ans, où selon une étude Elfe publiée en en avril 2023, un enfant de 2 ans y passe en moyenne 56 minutes par jour. Mais parmi les autres sources identifiées, il y a aussi la problématique du multi-linguisme dans les familles en situation de précarité. Et la ville de Laval ne déroge pas à la règle, avec le CCAS, elle a décidé de mener des actions à l'intérieur des crèches dans le cadre du Programme de réussite éducative. 

 

Des retards de langage dans les écoles

 

Tout est parti d'un constat des enseignants. Plusieurs professeurs des écoles de quartiers font remonter des difficultés liées au langage chez des enfants de 6-7 ans, "ils ont remarqué que les enfants, qui arrivaient en âge d'apprendre la lecture, rencontraient des difficultés sur l'articulation, des problèmes de syntaxe. Ça pouvait être aussi l'enfant qui ne comprend pas ce qu'il lit ou ce qu'on lui lit parce qu'il manque de vocabulaire. On avait beaucoup d'enfants qu'il fallait soutenir pour l'apprentissage de la lecture et sur l'orientation vers un orthophoniste", explique Sandrine Fourreau, coordinatrice du programme de réussite éducative.

 

 

Le constat des enseignants dans les écoles lavalloises

 

Après des échanges avec des professionnels et la lecture de plusieurs études, l'origine de ces troubles est identifiée, "il apparaît que le manque de stimulation langagière engendre des difficultés pour l'apprentissage de la langue quelque soit la culture d'origine. Un enfant qui serait trop sur les écrans et pas stimuler avec une famille d'origine française, peut rencontrer ces difficultés. Et des enfants d'origine étrangère où le parent ne va pas oser parler sa langue maternelle, l'enfant va avoir un manque de stimulation ce qui va générer des difficultés pour l'apprentissage de la langue et la lecture", se souvient Sandrine.

 

Un apprentissage via la langue maternelle

 

Alors pour faire face à ce problème, la mairie et le CCAS de Laval ont fait appel à l'association Afalac, Familles Langues Cultures, fondée par Françoise Leclaire en Sarthe et qui intervient dans les crèches, les PMI et les écoles. Objectif, inciter les parents a recréer des interactions et stimuler le langage chez leurs enfants par leurs langues d'origine pour ensuite, faciliter l'apprentissage du français. "Chaque enfant se construit à partir d'une langue maternelle donc le plus important, c'est de développer le langage, la capacité de pouvoir penser et dire le monde dans sa langue. Une fois qu'on aura ça, on aura tous les outils pour pouvoir passer à une autre langue. Et notre travail, c'est de dire aux familles et de leur donner les moyens de garder leur langue maternelle, la transmettre, l'utiliser avec les enfants. Une fois qu'elle sera vraiment en place, le lien avec le Français et d'autres langues se fera sans problème. Il faut le cultiver", justifie Valentina Semeghini, directrice pédagogique du projet école dans l'association Afalac.

 

Qu'est-ce que fait l'association Afalac ?
Crédit : Alexis Vellayoudom

 

Une idée qui va à rebrousse-poil de ce qu'il était préconisé pendant une bonne partie des années 90 et 2000, "il y a eu tout un courant, où on disait qu'un enfant qui arrive dans un pays, devait parler la langue du pays qui l'accueille. Alors qu'on s'aperçoit que ce qui est important, c'est de parler la langue maternelle et aussi la langue du pays d'accueil. Mais la langue d'origine permet l'apprentissage de la construction des phrases qui va l'aider à mieux parler et apprendre le lire, écrire compter", rappelle Sandrine, la coordinatrice du projet auprès du CCAS.  

 

Des ateliers avec les parents

 

Dans les faits, l'association convie les parents avec leurs enfants à des ateliers d'éveil multi-linguisme. Ce matin-là, après une séance de sensibilisation auprès des professionnels, les parents sont conviés à fabriquer une bibliothèque multi-lingue pour apprendre à sous-titré des livres dans leurs langues maternelles, "on sous-titre à la main pour offrir aux parents un livre dans les langues qu'ils parlent pour qu'ils puissent partager un temps de lecture avec son enfant. Par exemple, dans une crèche, on peut ouvrir le temps du matin ou le temps du soir au moment de l'accueil pour qu'ils prennent 5 ou 10 minutes pour partager des histoires avec leurs enfants", explique Valentina. L'association propose aussi un spectacle d'animation où les parents sont co-animateurs. Ce jour-là, c'est un papa portugais qui fait la lecture, avant que Valentina chante des comptines en italien sur la thématique de la mer : "on jongle avec des histoires, des contines, des berceuses, des chansons dans plusieurs langues. Le but, c'est de créer de l'interaction avec les enfants. Ce sont des choses que les enfants vont pouvoir répéter, chanter, comprendre des choses". 

 

Afalac remet les parents au centre de l'apprentissage des langues ?
Crédit : Alexis Vellayoudom

 

Afalac remet aussi des sacs à histoire aux familles pour faire rentrer le livre à la maison, "dans ces sacs, on a un livre, un jeu d'éveil et un livret de traduction qui accompagne le livre. Comme ça, les parents peuvent retrouver leurs langues. Et pour les non-lecteurs, on a des QR Code qui permettent d'accéder à des audios en ligne pour pouvoir écouter l'histoire dans sa langue". Et la jeune femme, d'origine italienne, a déjà observé les bienfaits chez plusieurs enfants, "beaucoup d'enfants qui étaient mutiques, qui ne parlaient pas beaucoup. Une fois que leur parent est venu raconter plusieurs fois des histoires dans la classe. L'enfant s'est débloqué, il a commencé à parler. Être fier de parler sa langue, de reconnaître la place qui a été donnée à son parent. Ça, c'est vraiment essentiel, ce travail de valorisation pour qu'il puisse prendre conscience, qu'il a déjà l'autorisation de parler sa langue. Ensuite, c'est en interagissant avec le parent que la langue peut se développer davantage. Et les parents sont soulagés de pouvoir s'exprimer dans leurs langues maternelles". Une manière aussi de recréer du lien entre les parents.