Laval. 200 agents de la Protection de l'enfance manifestent leur ras-le-bol, à cause du manque de moyens

Près de 200 travailleurs de la Protection de l'enfance ont manifesté hier à Laval, pour dénoncer un manque de moyens humains et des conditions de travail très dégradées. Avec un impact sur les familles et les enfants, qui ne sont pas toujours protégés, selon les manifestants.

12 décembre 2023 à 12h51 par Marie Chevillard

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Près de 200 manifestants ont évolué en cortège, de la cité Murat jusqu'au Conseil départemental.
Crédit : Marie Chevillard

Ils avaient déjà manifesté devant le Conseil départemental il y a trois ans. Depuis, rien n'a changé : ils étaient hier matin près de 200 travailleurs de la Protection de l'enfance à manifester pour dénoncer leurs conditions de travail. Réunis devant la cité Murat, ils sont ensuite partis en cortège jusqu'à l'hôtel du Département de la Mayenne. Avec un mot d'ordre pour résumer leur combat : plus de moyens humains. "Certains référents éducatifs doivent s'occuper de 38 dossiers : c'est beaucoup trop (normalement entre 25 et 30), regrette Véronique Lesiourd, de la CFDT Interco 53. Nous n'avons plus le temps de faire de la prévention : il y a cinq éducatrices de prévention pour toute la Mayenne. Le Département nous a promis des embauches d'ici 2026, mais comment fait-on pour tenir jusque là ?"

Assistante de service social, Catherine est partie cinq ans du secteur avant d'y revenir en février dernier. Elle a été frappée par la dégradation des moyens. "Il y a cinq ans, on avait encore les moyens d’exercer : aujourd’hui, ce n’est plus le cas. On n'a plus que cette mission protection, alors qu'on a une mission prévention qui est très importante. La protection, on est les pompiers, c'est déjà un peu tard... On est en contact direct avec les familles, donc on voit tout ce qu'on ne peut pas faire." Comme par exemple, proposer un accompagnement psychologique ou un placement en famille d'accueil... qui n'intervient que six mois ou un an après, voire parfois plus.

 

Des enfants en danger

 

Conséquence : "il y a des enfants qui ne sont pas protégés, donc très en danger, explique Emmanuelle, une travailleuse sociale. La juge décide que les enfants soient confiés en famille d'accueil pour être protégés de leurs parents maltraitants, et en fait, ils ne le sont pas, ils restent avec leurs parents. Parfois, même quand ils sont en famille d'accueil, on n'a pas les moyens concrètement de bien les accompagner. Et ça, en tant que professionnel, c'est horrible."

Emmanuelle, travailleuse sociale : "il y a des enfants qui sont très en danger"
Crédit : Marie Chevillard

Une situation qui a forcément un impact sur la construction de ces jeunes (mal) accompagnés, dont la situation peut s'aggraver ensuite. Une assistante familiale, présente dans le cortège, dénonce elle aussi un manque de moyens. Avec son mari, elle accueille cinq enfants chez elle et remarque que "c'est de plus en plus difficile - voire impossible - de joindre un professionnel lorsque la situation s'aggrave. Le fait qu'on accueille de plus en plus d'enfants, ça nous oblige également à changer de voiture, agrandir notre maison... et pour ça, on a reçu aucune aide."

 

Des agents à la limite du burn out

 

Les assistants familiaux manquent aussi à l'appel, et les agents voient partir leurs collègues, à leur grand désespoir. "C'est compliqué, ça fait des années qu'on dit 'on n'a pas envie de partir', 'on n'a pas envie de terminer en arrêt maladie'... mais ça ne peut pas durer, poursuit Emmanuelle. On est réveillé la nuit en se disant 'j'ai bossé 10 heures dans ma journée, mais j'ai fait de la m****', parce que je n'ai pas le temps de tout faire. Tel enfant, ça fait trois semaines que je ne l'ai pas vu. Je sais qu'il ne va pas bien, l'assistante familiale m'appelle, mais je ne peux pas y aller parce que je suis débordée."

Le ras-le-bol des agents : "On est les pompiers avec la protection, mais c'est un peu tard"
Crédit : Marie Chevillard

"J’ai l’impression que les personnes qui sont très au-dessus de nous ne se sentent pas concernées, regrette la travailleuse sociale. C’est triste, parce que quand on se projette dans la vie des enfants qui ne sont pas protégés aujourd’hui et qui sont victimes de violences physiques, sexuelles, psychologiques… est-ce qu’il faut vivre ces violences pour les comprendre ?! C’est vraiment très dommage."

Après les prises de parole devant l'hôtel du Département, les manifestants se sont fait entendre lors de la séance du Conseil départemental et ont été reçus par Olivier Richefou. Le président du Département indique que deux audits vont être lancés : sur le fonctionnement de la maison d’accueil d’Argentré et sur celui du SESAME (le Service spécialisé dans l’accueil des mineurs étrangers). Les manifestants, eux, réfléchissent à la suite à donner à leur mouvement.