Procès des balcons d'Angers : l'incompréhension des parties civiles après la relaxe de deux prévenus

Le tribunal correctionnel d'Angers a rendu son délibéré sur ce drame qui a causé la mort de 4 jeunes et blessé 14 autres en 2016. Sur les cinq prévenus, deux sont relaxés, les autres écopent de sursis. Les familles sont désemparées par ce jugement.

31 mai 2022 à 19h12 - Modifié : 31 mai 2022 à 19h13 par Alexis Vellayoudom

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Le procès en appel s'est ouvert le 25 septembre 2023
Crédit : CJ

C'est un délibéré que les familles des victimes attendaient depuis six ans. Depuis ce 16 octobre au matin où après une longue attente, les autorités leur ont annoncé les décès de leurs enfants, Lou, 18 ans, Antoine, 21 ans, Benjamin, 23 ans et Baptiste Ferchaud, 25 ans. Le soir du 15 octobre, ils rejoingnaient des amis au 2ème étage de l'immeuble Le Surcouf, rue Maillé, pour passer une soirée avec des copains d'enfance, du club de tennis ou d'école. Mais ce soir-là, la joie de se retrouver a laissé place à l'effroi après l'effondrement du balcon qui a causé la mort de quatre jeunes et blessé quatorze autres. 

 

Les partie civiles désemparées
Crédit : Alexis Vellayoudom

 

Après trois semaines d'un procès intense en février dernier, ce 31 mai, la présidente Catherine Ménardais rendait le délibéré concernant les cinq prévenus, Frédéric Rolland, l'architecte, Patrick Bonnel, l'ancien gérant de l'entreprise Bonnel à Champigné, le chef de chantier, le conducteur de travaux et le contrôleur technique de l'Apave, jugés pour homicide et blessure involontaire. 

 

Prison avec sursis et relaxe

 

C'est dans une salle pleine que la présidente fait son entrée. Devant elle, les familles des victimes, parties civiles, à gauche les cinq prévenus, assis l'un derrière aux côtés de leurs avocats. Catherine Ménardais se lance alors dans l'énoncé du délibéré : 

-Patrick Bonnel, ancien gérant de l'entreprise Bonnel à Champigné, 3 ans de prison avec sursis, 23 000 € d'amende délictuelle et 1 500 € d'amende contraventionnelle

-Le chef de chantier, 18 mois de prison avec sursis et 1 000 € d'amende

-Le contrôleur technique de l'Apave, 18 mois de prison avec suris et 1 000 € d'amende

-Le conducteur de travaux, relaxé

-Frédéric Rolland, l'architecte, relaxé

À l'annonce de la décision sur ce dernier, l'assemblée s'agace de voir l'architecte relaxé alors qu'il était le principal prévenu dans cette affaire et contre lequel le Procureur de la République avait requis 4 ans d'emprisonnement dont deux ans ferme, 50 000 € d'amende et une interdiction définitive d'exercer le métier d'architecte. 

 

Deux causes retenues dans l'effondrement du balcon

 

Après la déception, est venu le temps des explications. Dans son orale, la présidente a souligné que deux causes "conjuguées" avaient été retenues dans l'effondrement du balcon. D'abord, la mauvaise position des aciers supérieurs puis l'exécution de la reprise du bétonnage "non conforme aux règles de l'art", précise Catherine Ménardais. Le tribunal n'a pas retenu les "nombreuses malfaçons mais écartées dans la survenance de l'accident". Le changement de mode constructif du balcon est aussi écarté tout comme l'absence de nouveau plan d'exécution, "il ne présente pas d'influence sur les défaillances du balcon et n'aurait pas permis de régler la mauvaise mise en oeuvre des aciers et de la reprise du bétonnage", souligne le tribunal. Enfin, pour la mauvaise qualité et le système d'évacuation d'eau, le tribunal explique que ça n'a pas de "rôle causal à l'accident". 

 

La présidente est ensuite revenue sur les responsabilités de chaque prévenu. Pour Patrick Bonnel, le tribunal estime "qu'il ne s'est pas assuré des compétences du chef de chantier et des salariés". Pour le chef de chantier, "sa responsabilité était de s'assurer de la bonne reprise du bétonnage. Il aurait dûconstater la mauvaise position de l'acier". Sur le contrôleur technique de l'Apave, "le contrôle de la ferraille relevait de sa responsabilité". Sur la relaxe du conducteur de chantier, le tribunal explique : "il ne peut pas être confondu avec le chef de chantier. Il n'avait pas connaissance de l'incapacité du chef de chantier. On ne peut pas lui reprocher le contrôle". Enfin, sur la relaxe de l'architecte Frédéric Rolland, "sur le béton, il était impossible pour lui d'appréhender la qualité. Sur le positionnement de l'acier, il aurait pu alerter les constructeurs, cependant, le défaut de l'acier était difficilement constatable [...] c'est une faute simple de surveillance, d'observation et de suivi de l'acier en raison aussi d'une confiance envers une entreprise réputée compétente, ça n'engage pas la responsabilité pénale, mais civile", explique la présidente. 

 

Des familles désemparées par le délibéré

 

Pour les familles des victimes, c'est une grande déception notamment sur la relaxe de Frédéric Rolland. Pascale Chéné, la maman de Lou, 18 ans, décédée dans ce drame, est désemparée : "nous ce qu'on entend, c'est surtout les relaxes de certains et les condamnations des autres. C'est pas logique. On a l'impression qu'on a été entendu, mais pas écouté. Certains experts ont été balayés. Aujourd'hui, je pense à ma fille, à mon fils et à tous les autres (sanglots), et du coup là où j'étais plus sereine pendant le procès, là je suis en colère et honnêtement, j'espère un appel du procureur". "Qu'est-ce qu'on donne à comprendre aux jeunes architectes ? Ça veut dire, vous pouvez construire sans surveiller ? Quel est le rôle de l'architecte sur un chantier ? En gros, le message qu'est donné, c'est vous pouvez avoir des responsabilités, mais ne pas les prendre à bras-le-corps", ajoute la maman de Lou. 

 

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Me Penneau, avocat des parties civiles et de la famille Chéné
Crédit : Rosemarie Pinon

 

Une déception partagée par toutes les familles des victimes, "il y a une incompréhension par rapport aux effets de ce drame, aux décès, aux blessures, aux vies brisées et ces relaxes qui arrivent et qui sont complètement en déconnexion avec ce qu'elles ont vécu, et même vis-à-vis des condamnations qui apparaissent peu chères payées devant un tribunal", confie Me Soulard, avocate de la partie civile pour Typhaine Boivin et la famille Rondeau dont les deux filles étaient locataires de l'appartement où le balcon s'est effondré. "Les parties civiles ont été blessées d'entendre le terme de relaxe s'agissant de l'architecte parce qu'ils ont cru que c'était la reconnaissance de ce qu'il avait toujours tenté d'expliquer, c'est-à-dire un architecte, c'est là pour faire de jolis dessins, la construction ça ne le concerne pas. Non, le tribunal nous explique, certes il n'y a pas les éléments pour une infraction pénale, mais en tant qu'architecte, vous êtes responsable de la construction d'un bâtiment et moi tribunal, je vous condamne architecte parce que vous avez causé des morts", explique Me Penneau, avocat de la famille Chéné.

 

De son côté, Me Charbonneau, avocat de la défense de Frédéric Rolland, l'architecte, se satisfait d'avoir été entendu : "les fautes retenues sont des fautes d'exécutions. Et la logique de l'exécution, c'est qu'elle retombe sur l'entreprise. Il y a ensuite un contrôleur technique qu'a la compétence et le rôle pour en vérifier la bonne exécution. Et ensuite, il y a un suivi d'exécution de l'architecte et c'est là le noeud gordien du sujet, ça ne relevait pas d'une telle évidence et c'est cet argument qui a été décisif. Dans le prisme de ce qu'il pouvait voir, il n'a pas manqué à cette obligation, c'est ce qui a été dit par le tribunal, c'est pour ça que sa responsabilité pénale a été écartée". 

 

Rappel des réquisitions

 

En mars, Eric Bouillard, le procureur de la République d'Angers n'avait pas été tendre avec les prévenus. Voici le rappel de ses réquisitions : 

 

- L’architecte Frédéric Rolland : 4 ans de prison dont 2 avec sursis, 50 000 € d’amende

- Le gérant de l’entreprise Bonnel, Patrick Bonnel : 3 ans de prison dont 1 avec sursis, 30 000 € d’amende

- Le conducteur de travaux : 3 ans de prison dont 18 mois avec sursis, 10 000 € d’amende

- Le chef de chantier : 18 mois de prison avec sursis

- Le contrôleur technique de l’Apave : 18 mois de prison avec sursis