Procès des balcons d'Angers : 3 ans d'emprisonnement requis contre Patrick Bonnel

Hier, le procureur a requis 3 ans d'emprisonnement dont deux ans ferme, 30 000 euros d'amende et une interdiction définitive de gérer une société. "Réquisitions disproportionnées" pour les avocats de Patrick Bonnel.

Publié : 3 mars 2022 à 16h42 par Alexis Vellayoudom

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Une salle d'audience au tribunal d'Angers
Crédit : Coralie Juret

"Il ne tenait qu'à vous de ne pas avoir de victimes", le ton d'Eric Bouillard est grave. Il est 13h48 ce mercredi au tribunal correctionnel d'Angers lorsque le procureur de la République d'Angers prend la parole pour son réquisitoire. Pendant 1h30, il va pointer du doigt les manquements des cinq prévenus, jugés pour homicides et blessures involontaires, parfois tourner en dérision leur défense, jusqu'à railler leurs compétences et leurs comportements. Au terme, le procureur demandera des peines jugées "disproportionnées" par des avocats de la défense.

 

"Un balcon quand c'est bien fait, ça tient !"

 

Eric Bouillard a d'abord salué la présidente pour la qualité du débat mené. Le procureur est ensuite revenu sur le déroulement du procès : "je n'ai jamais douté que chaque prévenu rejetterait la faute sur l'autre [...] les victimes ont donné une leçon d'humanité". Puis commence le rappel des faits, la nuit du 15 au 16 octobre 2016, une vingtaine de jeunes, réunis dans un appartement de l'immeuble Surcouf pour une crémaillère, "une bande de jeunes sans excès", insiste Eric Bouillard. Avant le drame, le balcon, où sont rassemblés 18 jeunes, cède emmenant les deux autres balcons en dessous. Une chute de 8,30 mètres rappelle le Procureur qui va coûter la vie à 4 personnes et blessé les 14 autres. Il cite le nom des victimes devant une audience dans un silence de cathédrale, Lou Chéné, Antoine Courgeon, Benjamin Groud-Brisset et Baptiste Ferchaud avant de citer les blessés. 

"C'est un tsunami qui a dévasté le groupe d'amis [...] peu de parents ne se sont pas mis à leurs places", poursuit Eric Bouillard. Il pointe du doigt les cinq prévenus, Frédéric Rolland, l'architecte, Patrick Bonnel, gérant de la société Bonnel en charge du gros oeuvre, le conducteur de travaux, le contrôleur technique de l'Apave et le chef de chantier : "un balcon quand c'est bien fait ça tient ! Ce laxisme généralisé est le fruit de ces cinq-là". Pour le procureur, l'analyse des experts est sans appel. 

 

"Ce n'est pas une erreur, c'est une catastrophe annoncée"

 

"Si vous aviez eu la même rigueur que pour monter votre défense, on aurait évité ce drame", s'agace Eric Bouillard. Le procureur tourne en dérision la défense des accusés, les communiqués de presse parus dans les jours qui ont suivi ce drame où les prévenus se rejettent la responsabilité. Il aborde ensuite la Commission indépendante dépêchée par les constructeurs, les assureurs, et ce rapport délivré par un certain Monsieur Thomas, "du grand guignole, c'est indigne", tonne Eric Brouillard. 

Pendant de longues minutes, le procureur revient sur les problèmes de procédures, les changements de planning, de méthode, les arrangements pour accélérer le chantier, "c'est pas une erreur, c'est une catastrophe annoncée". Il s'adresse au chef de chantier : "changer de mode constructif, c'est pas un fin en soit, encore faut-il avoir les compétences et les outils". Puis s'interroge de manière sarcastique auprès des cinq prévenus : "j'ai beaucoup de mal à entendre que 10 semaines gagnées sur le planning gros oeuvre, ça s'est pas vu, ça s'est fait en un claquement de doigt". Il désigne clairement le chef de chantier puis le conducteur de travaux pour les railler : "vous êtes plus incompétent que tricheur, par contre vous, vous êtes plus tricheur qu'incompétent". 

Le procureur se tourne ensuite vers Patrick Bonnel : "vous avez tenté parfois de montrer de l'empathie". Mais lui reproche de ne pas avoir assumé ses responsabilités notamment sur le changement de méthode et de calendrier, "vous avez dit "j'aurai dû le voir", mais votre mission ce n'est pas de voir, c'est de regarder".

 

"Ils sont morts aussi sur l'hôtel du confort de Monsieur Rolland"

 

Puis un long réquisitoire commence contre Frédéric Rolland, l'architecte, "pour moi Monsieur Rolland, c'est une énigme. Il n'est pas venu pour être jugé, il est venu comme un artiste. Il est venu pour vous amener doucement à comprendre. Les leçons, il les donne, il ne les reçoit pas. C'est un melon... Vous vous êtes mis dans la peau d'un politique face à un journaliste, le journaliste, il vient avec ses questions, le politique avec ses réponses". Eric Bouillard pointe ses absences aux réunions de chantier, ses manquements au texte, à la déontologie, "Monsieur Rolland dit qu'il n'a rien fait. Il n'a rien fait, c'est bien le problème". Puis le procureur se tourne vers la mère de Baptiste Ferchaud, décédé dans le drame, "Madame Ferchaud, vous aviez dit que ces quatre jeunes étaient décédés sous le poids de la malfaçon et de l'économie de la construction. Ils sont morts aussi sur l'hôtel du confort de Monsieur Rolland". Eric Bouillard termine : "Monsieur Rolland, vous auriez gagné à montrer d'autres facettes". Le procureur de la République conclu son réquisitoire : "aucun de vous n'a donné des explications qui soient dignes de ce procès".

Pour Frédéric Rolland, l'architecte, il demande 4 ans d'emprisonnement dont 2 ans avec sursis, 50 000 € d'amende et une interdiction définitive d'exercer le métier d'architecte, pour Patrick Bonnel, 3 emprisonnement dont 1 an avec sursis, 30 000 € d'amende et interdiction définitive de gérer une société, pour le conducteur de travaux, 3 emprisonnement dont 18 mois avec sursis, 10 000 € d'amende et interdiction de 10 ans d'exercer le métier de conducteur de travaux, pour le contrôleur technique de l'APAVE, 18 mois avec sursis, et la même peine pour le chef de chantier. 

 

Des réquisitions excessives selon la défense de Patrick Bonnel

 

"Ces réquisitions avec un emprisonnement ferme sont totalement disproportionnées et pas du tout justifiées", commente Me Fillion. Hier, l'avocat de Patrick Bonnel, gérant de l'entreprise de gros oeuvre Bonnel à Champigné en charge de la construction des balcons, a commencé sa plaidoirie en s'adressant aux familles : "nous éprouvons énormément de compassion". Il est ensuite revenu sur l'état de santé de son client et la difficulté d'assister à ce procès, "c'est très douloureux pour Patrick Bonnel d'être là". Propos confirmés dans la salle des Pas perdus, "pour quelqu'un de 73 ans, qu'a mené une vie parfaitement rectiligne, se trouver devant un tribunal correctionnel à cet âge avec un drame comme celui-là, c'est très difficile. Ce soir, il est fatigué". Me Rouiller parle lui d'une honte auprès de ses petits-enfants, "une vie ne se résume pas à une construction, à un moment de médiocrité". 

 

L'avocat de Patrick Bonnel trouve les réquisitions excessives
Crédit : Alexis Vellayoudom

 

Me Fillion et Me Rouiller , l'autre avocat de Patrick Bonnel, estiment que le procureur n'a pas assisté à la même audience du 22 février dernier : "nous avions noté que notre client avait été extrêmement clair et avait assumé totalement sa responsabilité de chef d'entreprise. Et donc qu'en réalité, il n'y avait aucune manipulation, aucune ambiguïté, aucune indignité et qu'il avait, au contraire, répondu présent au moment de s'expliquer, et d'assurer les responsabilités". Selon ses avocats, Patrick Bonnel a reconnu l'absence de contrôle de l'entreprise et la modification de la technique de fabrication des balcons, "vous attendez-quoi de plus ?", s'adresse Me Fillion au procureur de la République. "25 ans après, peut-on exiger qu'il se souvienne de tout en détail ?", interroge Me Fillion. 

"La recherche de la vérité, elle est des deux côtés", explique Me Rouiller. Même si selon les deux avocats, plusieurs témoins ne sont pas venus par peur d'être discrédités. "Patrick Bonnel a dit "on aurait dû voir", depuis deux prévenus ne lui parlent plus, loi du silence, de l'omerta à qui vous voulez mais pas à nous", interpelle Me Rouiller. L'avocat parle de faute "non-intentionnelle", il distingue l'auteur direct et indirect, une notion qui n'existe pas en droit français, "la mal-compétence est ponctuel, ce n'est pas de l'incompétence".  

 

L'avocat de Patrick Bonnel estime que son client a reconnu ses responsabilités
Crédit : Alexis Vellayoudom

 

"La décision doit être acceptable, à la hauteur de la nature des faits", demande Me Raillé. Les avocats de Patrick Bonnel s'attendent à ce que la peine prononcée soit revue à la baisse, "je vous ai trouvé excessive, le tribunal ne vous suivra pas". Le délibéré sera pris dans quelques semaines.