Angers. "Mal payés, besoin de reconnaissance" : les professeurs du conservatoire manifestent pour la première fois

Pour une fois, la musique ne sortait pas d'une des salles du conservatoire à rayonnement régional d'Angers ce mercredi 17 décembre, mais bien d'une enceinte installée devant le bâtiment. Fait rarissime dans une institution discrète, peu habituée aux manifestations, plus de la moitié des 80 professeurs de musique étaient en grève, à l'appel de la CFDT et du SNEA (Syndicat national des enseignants et artistes). La goutte d'eau qui a "fait déborder le vase", selon Emmanuel Ollivier, secrétaire adjoint de la section CFDT pour la Ville d'Angers ? "En juillet 2023, l'Etat a revalorisé les plafonds de la prime (l’Indemnité de suivi et d’orientation des élèves, ndlr) et la Ville d'Angers a mis deux ans et demi à réagir pour faire une proposition qui est passée en conseil municipal lundi (15 décembre) et qui n'atteint pas le plafond, pourtant lui-même très bas : on parle d'une centaine d'euros par mois en moins."

Une rémunération faible, trop faible au vu de l'investissement demandé selon les grévistes et en comparaison des autres conservatoires. "Parfois même par rapport aux conservatoires de catégorie inférieure comme les CRD (Conservatoire à rayonnement départemental), on gagne moins qu'à Baugé ou La Flèche par exemple", déplore Claire Gaudron, professeure et secrétaire du SNEA. "Sans compter les différences avec les autres fonctionnaires de la Ville d'Angers de même catégorie, ajoute Emmanuel Ollivier, nous n'avons pas le droit par exemple aux primes semestrielles". Ni aux primes pour le matériel en télétravail : ordinateur, téléphone, instruments et partitions doivent être financés par les enseignants eux-mêmes.

Un conservatoire moins attractif

Jérôme Percher, professeur de cor au conservatoire depuis une douzaine d'années, n'ose pas commencer à faire les comptes. "Pour chaque ensemble de cors, au-dessous de 30 ou 40 euros, il n'y a pas grand chose, et j'ai entre 200 et 300 partitions chez moi... je vous laisse faire le calcul. Qu'on finance notre propre instrument, je peux le comprendre, mais on pourrait aussi le prendre en compte dans la rémunération : effectivement, il y a du temps de présence devant l'élève mais il y a aussi du temps de préparation des cours, de la veille musicale, au moins 7 heures de pratique instrumentale par semaine voire le double..." À cela s'ajoutent les auditions et les autres projets menés en parallèle avec les élèves. "Nous, on fait toujours tout pour nos élèves, on le fait par passion et pour eux, assure Claire Gaudron. Même si on n'a pas de moyens, on fait tout, on a personne pour allumer les lumières, on fait la régie, on installe les salles... Et au bout d'un moment, on se dit 'mais en fait ce n'est pas normal', on ne veut plus continuer comme ça."

Des conditions de travail qui ont forcément des incidences sur l'attractivité du conservatoire angevin, poursuit-elle. "Ça fait plusieurs fois qu'on n'arrive pas à recruter, parce que lorsque les candidats ont la proposition d'embauche, ils disent 'non, je ne vais pas venir, je perds de l'argent, 200 ou 300 euros par mois, je ne peux pas me permettre ça'". Aucun poste n'est à pourvoir en ce moment, mais la Ville d'Angers est régulièrement obligée de recruter des enseignants contractuels, assurent les personnes interrogées. Et le doute s'insinue aussi parfois chez les professeurs déjà présents, avoue Jérôme Percher. "Dans l'enseignement, vous vous demandez parfois : "tout ça pour quoi ?" J'ai failli demander un bilan de compétences et je me suis dit 'non, il y a une audition qui s'est bien passée, allez on remet une pièce dans le jukebox'. Si ce n'était que pour moi, je serais déjà parti d'ici, ça c'est clair : si je reste, c'est parce que ma femme est ici, mes filles sont ici."

Fin des négociations au printemps

Un métier-passion où la vocation ne suffit plus: "c'est la première fois que je fais grève en 33 ans de carrière, assure le professeur de cor, mais on n'en peut plus, ce n'est plus possible. On aime notre métier, mais il y a un moment où on a besoin de reconnaissance et ce n'est pas forcément les messages qui nous sont renvoyés. En musique, on partage tout, on fabrique tout ensemble, mais là, on se sent un peu seul." Premier signe encourageant d'après Emmanuel Ollivier : la réunion il y a quelques jours avec l'élue Roselyne Bienvenu, conseillère municipale déléguée aux Ressources humaines et la direction du conservatoire. "Maintenant, il faut que ça se concrétise par des chiffres. On demande l'application de la prime rétroactivement depuis deux ans et demi", une prime pour le matériel informatique, et une autre prime pour l’achat et l’entretien de leurs instruments de musique. "Ça doit aboutir au printemps", conclut le syndicaliste.