Maine et Loire

Maine-et-Loire. "En 2050, il y aurait plus de légumes d'été, plus de céréales d'hiver et moins de bovins", selon l'agroclimatologue Serge Zaka

L'agroclimatologue Serge Zaka était à Segré jeudi 4 décembre, invité pour une table-ronde par l'antenne segréenne de la chambre d'agriculture de Maine-et-Loire. L'occasion de faire le point sur les impacts du changement climatique sur les pratiques agricoles en Anjou et les changements à venir pour s'y adapter.

Publié : 16h22 par Marie Chevillard

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L'agroclimatologue Serge Zaka est venu donner une conférence à Segré, le 4 décembre dernier.
Crédit : MC

Entretien avec Serge Zaka, docteur en agroclimatologie, c'est-à-dire la science qui étudie l'impact du changement climatique sur l'agriculture (maraîchage, viticulture, forêt, élevage, fourrage...).

 

Votre discipline reste encore confidentielle aujourd'hui, pourquoi ?

Il faut savoir que les agroclimatologues en France ne sont pas très nombreux. On en retrouve beaucoup dans les centres de recherche, à l'INRAE (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement), chez Arvalis... Mais ce ne sont pas des choses qui sont forcément vulgarisées sur les réseaux sociaux. Donc la plupart des personnes qui ont découvert l'agroclimatologie sur les réseaux sociaux l'ont fait en me suivant. Pourtant, c'est une science qui existe depuis 70 ans, donc c'est juste qu'elle n'est pas suffisamment connue, mais a intérêt à l'être parce qu'elle doit être prioritaire pour les décisions politiques pour faire face au changement climatique.

 

Quels impacts a justement le changement climatique sur les pratiques agricoles ?

On a déjà des pertes agricoles. Prenez 2021, on a eu 2 milliards d'euros de pertes de rendement à cause du gel, mais surtout à cause de la douceur hivernale qui a réveillé les végétaux trop tôt. En 2022, a eu trois canicules et une sécheresse majeure dans la région, avec des pertes de -28 % pour le maïs, mais aussi des hausses de rendement de plus de 2 % pour le blé. En 2023 et 2024, on a eu des excès d'eau pendant les moissons et les semis, avec des problématiques de plantation ou de récoltes des différentes cultures. C'est vrai qu'on aurait dû parler de ça il y a 20 ans : aujourd'hui, on voit les effets du changement climatique face à l'inaction politique. Et ces pertes de rendement montrent qu'on n'a pas suffisamment pris en compte les alertes des scientifiques. Ici sur le Segréen, on a des sols peu profonds, donc moins de réserves en eau et moins de nappes phréatiques, ce qui fait qu'on n'a pas de possibilité d'irrigation comme dans la Garonne ou les bassins de Beauvais ou Chartres.

 

Quel était l'objectif de cette conférence et table-ronde ici, à Segré ?

Déjà, se rendre compte pour les agriculteurs de l'impact du changement climatique au quotidien, avec une accélération du cycle de l'eau dans les deux sens, avec l'enchaînement d'excès d'eau et de déficits d'eau. J'essaie de passer par les chiffres, d'être factuel avec des éléments scientifiques indéniables, sur comment l'agriculture a évolué, comment elle va évoluer avec le changement climatique. Ensuite, pour les jeunes (venus de la Maison familiale rurale de Segré, ndlr), ça leur permet de découvrir tous ces éléments, pour qu'ils prennent les meilleures décisions dès qu'ils s'installeront, qu'ils puissent y réfléchir pendant leur cours aussi. Autre point : il y a aussi le fait de confirmer les actions de terrain. Par exemple, en Pays de la Loire, on a des enveloppes attribuées aux agriculteurs pour gérer le paysage : c'est innovant par rapport aux autres régions françaises. 

 

Donc il y a déjà de bonnes pratiques mises en place ?

Oui, ça permet justement de confirmer aux agriculteurs présents dans la salle le bienfait de certaines pratiques, qu'ils ont eu parfois des difficultés à mettre en place, des difficultés économiques ou morales... Il faut leur redonner la foi, continuer à aller sur un sol plus vivant, sur une agriculture plus simple par rapport au labour, aux semis directs, aux couverts végétaux. Effectivement, ça met du temps à s'installer, mais par contre quand ça s'installe, le sol retrouve son équilibre, on a un système plus résilient face aux éléments climatiques. C'est bien de travailler sur le sol et les réserves en eau, mais il faut encore aller plus loin sur la gestion des paysages, sur les haies, sur l'écoulement de l'eau sur les parcelles... Ce sont des choses qui ne sont pas encore assez imprégnées ni dans les centres de recherche, ni dans la réflexion des agriculteurs.

 

En Maine-et-Loire, et plus précisément dans le Segréen, est-on en retard ou plutôt élève modèle par rapport à d'autres territoires français ?

Disons qu'il y a toujours beaucoup de choses à faire. Mais le Segréen a plusieurs avantages : il y a déjà un paysage avec une partie bocagère plus importante que dans d'autres régions. Un avantage à préserver d'ailleurs, dans un contexte de changement climatique : il ne faut pas regretter après d'avoir supprimé des haies sur le territoire. Elles permettent de maîtriser l'eau, de maîtriser les microclimats, et ces avantages vont devenir de plus en plus intéressants. Après, vous avez aussi un inconvénient, c'est la présence de l'animal et la charge animale sur le territoire.

 

En quoi cette "charge animale" peut-elle devenir problématique ?

Dans un contexte climatique passé, la présence de l'animal en quantité ne posait pas forcément problème par rapport aux ressources en fourrage pour nourrir ces animaux. Mais avec le changement climatique, avoir autant de bovins sur le territoire, avec une ressource en eau qui diminue et un fourrage qui va devenir de plus en plus aléatoire d'année en année, ça peut poser des questions par rapport à une rediversification du territoire vers d'autres productions - l'ovin, le caprin ou des bovins plus petits, qui produisent peut-être moins de lait. Mais l'offre climatique ne pourra plus nous permettre d'avoir autant d'animaux productifs sur le territoire. Ce n'est pas une question de vouloir détruire l'agriculture, c'est juste une question d'avertissement et de se préparer en amont. Mais il y a un dernier avantage : la diversification est possible, avec des éléments positifs du changement climatique.

 

Vous parlez "d'éléments positifs" du réchauffement climatique ?

Oui, il n'y a pas que du négatif : le maraîchage, l'arboriculture, le colza d'hiver, le blé d'hiver, l'orge d'hiver pourraient avoir des hausses de rendement. Donc il faut voir le changement climatique à la fois comme une menace à anticiper, pour être prêts quand les conséquences arriveront, et comme des éléments positifs, pour investir dans ces éléments positifs et rester une puissance agricole à l'avenir, sans dépendre de l'étranger.

 

C'est un travail d'adaptation finalement ?

Même plutôt un travail d'anticipation. À partir du moment où on a les éléments scientifiques qui nous permettent de dire où on va, on a un chemin à suivre. Après, il y aura peut-être plusieurs chemins pour arriver au même objectif. Certains peuvent passer par l'agriculture biologique, d'autres par l'agriculture conventionnelle avec un mélange en agriculture de conservation des sols. Dans tous les cas, il faudra aller vers un paysage plus complexe, des sols plus vivants, réfléchir à la charge des animaux et à la présence d'une charge importante de maïs sur le territoire après 2050.

 

En 2050, à quoi pourrait ressembler l'agriculture en Maine-et-Loire ?

Le paysage ressemblerait plus à un paysage aquitain, avec des arbres présents aujourd'hui dans les forêts plutôt du Sud, Sud-Ouest. On a une diversification agricole qui, je l'espère, sera prise en compte. Après, il faut que ces filières s'implantent sur le territoire, avec les légumes d'été. Les légumes d'hiver, eux, seront toujours présents et peut-être même un petit peu plus, parce qu'il fera un petit peu moins froid en hiver, donc moins de risques de gel. Ça, c'est le potentiel climatique, mais derrière, il faut qu'il y ait le potentiel économique. Si on n'investit pas dans les filières, si les consommateurs ne jouent pas le jeu et n'achètent pas des produits du territoire, on ne pourra pas avoir un paysage qui pourrait être changé. La réalité n'est pas donc que climatique, elle est aussi politique, économique et sociétale.