Maine et Loire

Ombrée d'Anjou. Ils ont sauvé des enfants juifs, un jardin et une plaque pour leur rendre hommage

Entre 1942 et 1945, l'abbé Terrien et Me Pinguet ont sauvé huit enfants juifs à Noëllet, commune déléguée d'Ombrée d'Anjou. Un jardin est inauguré pour leur rendre hommage en présence de Bernard Goldberg, l'un des enfants secourus.

Publié : 4 décembre 2025 à 16h16 par Alexis Vellayoudom et Marie Chevillard

Enfant juifs Noëllet Cérémonie_03 12 25_DR
L'abbé Terrien et Me Pinguet entourés d'enfants, dont les huit enfants juifs qu'ils ont sauvé
Crédit : DR

Ce dimanche à 14h30, Noëllet se souvient. Après l'implantation d'une plaque et d'un arbre en 2005, la commune déléguée d'Ombrée d'Anjou inaugurera, près du lavoir, le jardin des "Justes parmi les nations" que sont l'abbé Xavier Terrien et Me Anne-Marie Pinguet après avoir sauvé huit enfants juifs entre 1942 et 1945. Un titre décerné par l'Etat d'Israël en 2008 pour se souvenir de ceux qui ont sauvé des Juifs durant la Shoah entreprise par le régime Nazi d'Hitler lors de la Seconde Guerre mondiale.

 

 

« On allait à la messe pour ne pas faire de vague vis-à-vis de la population »

 

Pour inaugurer ce jardin, la commune a convié Bernard Goldberg, l'un des huit enfants sauvés. En 1942, suite aux rumeurs de la rafle du Vel d'Hiv et alors que son père a déjà été arrêté et déporté, sa maman décide de lui faire quitter la région parisienne avec sa sœur la plus âgée, son frère et des voisins. Ils passent alors par la Sarthe, avant d'arriver en Maine-et-Loire à Noëllet durant l'été. "La maman de nos voisins nous a communiqué une adresse. Nous sommes arrivés dans cette maison de madame Pinguet où il y avait beaucoup d'enfants."

Là-bas, le petit Bernard, 4 ans, vit une vie presque normale. "Déjà, je n'avais pas vraiment conscience de ce qu'il se passait. Ma famille était déportée, mais je l'ignorais. J'ai été accueilli, traité normalement. J'allais à l'école puisque j'ai appris à lire et à écrire à Noëllet. Je vivais ma vie de petit-enfant à la campagne. Il n'y avait pas d'angoisse. La chance que nous avons eu, c'est que nous avions des élus qui veillaient à nous protéger. Le maire germanophone, chaque fois qu'il recevait une circulaire demandant s'il y avait des enfants juifs, et bien, ils les mettaient au panier", se souvient Bernard. 

 

Hommage Juste parmi la Nation Noëllet_03 12 25_AVC
En 2005, une plaque et un arbre avaient déjà été placés près du lavoir
Crédit : Alexis Vellayoudom

Bernard est hébergé, sous son vrai nom, chez Me Pinguet avec d'autres enfants. "C'était une femme qui avait une certaine autorité, mais qui veillait à notre bien-être. Gentille et bienveillante. On allait à la messe pour ne pas faire de vague vis-à-vis de la population", se remémore l'homme de 87 ans. Je me souviens, on allait chercher le lait dans une ferme pas très loin de chez nous. Je passais devant une chapelle avec un calvaire. Me Pinguet me disait de me signer quand je passais devant. Et une fois, passant devant, je me suis signé et je suis tombé. Ça m'a toujours marqué." Sa grande soeur Héléna y restera un an. Quant à son frère, il est logé à l'église par l'abbé Terrien.

 

« C'était une femme formidable, une sainte femme » - Pierrette Boiteau à propos de Me Pinguet

 

Le petit Bernard, Pierrette Hallopé-Boiteau en a beaucoup entendu parler dans sa jeunesse à Sainte-Gemmes d'Andigné. J'ai bien connu Me Pinguet. Fin 1947, elle est arrivée chez mes parents comme employée de maison. Mon petit frère est né en mai 1948 et elle est devenue vraiment la nounou de mon petit frère. Elle est restée chez mes parents jusqu'à sa retrait, se remémore-t-elle. Elle nous évoquait toujours ce petit Bernard. Elle avait toujours une pensée, "oh qu'est-ce qu'il est devenu ce petit Bernard", puis elle racontait des épisodes, mais bon, j'ai vaguement l'histoire, mais je sais que le petit Bernard ça, c'était l'enfant dont elle parlait très souvent."

Après-guerre, Bernard Goldberg continuera de voir Me Pinguet. "Pas assez à mon goût, mais j'ai gardé des liens affectueux avec elle, presque d'un petit-fils vis-à-vis de sa grand-mère. Je garde toujours des liens avec sa petite-fille. Je lui ai appris presque à marcher", sourit-il. 

 

Pierrette Boiteau-Hallopé Helena_03 12 25_MC
 
Ce que Me Pinguet a fait pendant la Seconde Guerre mondiale, Pierrette ne le saura que bien plus tard, mais sans grand étonnement. "On la considérait comme notre grand-mère. Elle était de la famille, elle a assisté à nos mariages et c'était une personne très dynamique, très courageuse, n'ayant peur de rien. C'était une femme formidable, une sainte femme si on peut dire et elle l'a montré par son courage, parce que quand elle parlait de ses petits-enfants juifs, ce n'était pas par gloire, c'était juste pour évoquer des souvenirs qu'elle avait eus avec eux, ses petits-enfants. Ça faisait partie de sa vie, c'est certain."

 

« Ils ont été l'honneur de la France au moment où la France était piétinée »

 

Mais pour Pierrette l'histoire ne s'arrête pas là. Comme une sorte de relais spirituel de madame Pinguet, elle va faire, des dizaine d'années plus tard, une rencontre à laquelle elle ne s'attend pas. "En 2013, je dois aller rendre visite à mes enfants qui habitent Juan-les-Pins (Côte d'Azur). Ma cousine Irène m'indique qu'elle a une amie là-bas et me demande si je veux bien passer la voir", raconte Pierrette. Quelques jours après, là voilà chez cette amie à prendre le thé. "Au bout d'un certain temps, elle part dans la cuisine et elle me dit "venez". J'y vais, et qu'est-ce que je vois dans la cuisine, une photo au mur où je vois une dame entourée d'enfants, et là, je reconnais une personne que j'ai très bien connue, raconte la retraitée. Je lui dis, "comment vous appelez cette dame-là sur la photo avec les enfants, elle me dit, "c'est madame Pinguet, nous avons été chez elle pendant la guerre". Je lui dis vous êtes les petits enfants juifs, elle me dit "oui"."

 

Sa rencontre invraisemblable avec Helena l'une des enfants sauvés
Crédit : Alexis Vellayoudom

 

Il s'agissait d'Héléna Goldberg, la sœur de Bernard. "Ce soir-là, je suis restée jusqu'à 19h, mes enfants s'inquiétaient. Je m'en suis remise au bout de trois jours", rigole encore Pierrette. Jusqu'au décès d'Héléna, les deux femmes vont devenir très amies. Pierrette va même raconter son histoire pour l'association Présence en Haut-Anjou. "Héléna a été une personne extraordinaire, pleine de joie, pétillante, elle aimait danser, s'intéressait à tout ce qui pouvait être beau, bien sûr, elle avait besoin de beauté, de tout ce qui est positif. Elle me manque, parce que j'aimais bien aller la voir à chaque fois, on passait des bons moments, voilà, c'est aussi pour ça que c'est important qu'il y ait cette cérémonie dimanche."

Pour Bernard Golberg, très attaché à honorer les "Justes", c'est aussi l'occasion de transmettre cette histoire aux futures générations. "C'est le relais de la reconnaissance qui est pris par le maire d'Ombrée d'Anjou et le maire délégué de Noëllet. Parce que l'âge est là pour moi, j'espère que cette reconnaissance va perdurer, insiste l'octogénaire. Dans notre région, le Maine-et-Loire, la Mayenne, la Sarthe, il y a eu beaucoup de "Justes". Tous ces gens méritent d'être honorés parce qu'ils ont été l'honneur de la France au moment où la France était piétinée."