Segré. Bisengo, de la guerre en RDC aux cours de français

Arrivé en France en 2018, Bisengo a atterri à Ernée en Mayenne. Là-bas, une phrase a changé sa vie. Aujourd'hui à Segré, ce demandeur d'asile donne des cours de français à ses compagnons de chambre.

27 avril 2021 à 10h10 - Modifié : 27 avril 2021 à 10h10 par Alexis Vellayoudom

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Bisengo est originaire du Kivu, une région à l'est de la RDC
Crédit : Alexis Vellayoudom

Avec ce confinement, on a parfois l'impression d'être privé de certaines libertés. Lui, la liberté, il est venu la chercher en France. Bisengo Data Muhaméniza, originaire de la République démocratique du Congo, est arrivé dans l'hexagone en 2018. Francophone, il a très vite compris que ça allait être un atout pour lui. Il a décidé de partager ses connaissances sur la France avec les autres demandeurs d'asile qu'il a côtoyé à Ernée puis à Segré.


Rejeté en RDC


Son enfance, c'est dans la région du Kivu à l'est de la République démocratique du Congo que Bisengo l'a passée. Une région où la guerre et les massacres perpétrés par des groupes armés sont le quotidien des habitants. Une réalité à laquelle Bisengo fait face avec sa famille tutsi, une communauté originaire du Rwanda qui s'est installée à différentes dates de l'histoire dans le Kivu, "un gouverneur a donné une semaine à ma communauté pour partir. Si, on ne partait pas, on serait brûlé".


Témoignage de Bisengo en intégralité
Crédit : Alexis Vellayoudom

La famille de Bisengo y vit depuis plusieurs générations, parfois dans des camps de fortune. Très vite, il constate le rejet de son peuple par la RDC, "à l'école quand nos amis nous traitaient de Rwandais, des enseignants parfois, même des pasteurs dans des églises [...] quand on dit le rwandais, ça veut dire "ennemi", "traître"". À plusieurs reprises, il fuit vers le Rwanda et le Burundi avant de revenir. En 2010, il part faire ses études d'ingénieur en électronique et télécommunication à l'université au Rwanda pendant 3 ans, mais la situation ne s'améliore pas au Kivu où vivent ses parents. Il décide alors de partir.

En 2013, avec l'aide de son père, il part vers Chypre où il pense pouvoir y travailler et reconstruire une vie loin de la guerre, "arrivé à Chypre, je me rends compte qu'on nous avait la bourse et le droit de travail. On me dit non, tu n'as pas le droit de travail". Conscient qu'il ne sera pas possible de s'établir durablement sur l'île, il reprend sa route. Il traverse l'Europe centrale, une dizaine de pays avec la caravane des réfugiés syriens, la Hongrie, la Tchéquie pour finir en Suède, "là-bas, je n'avais pas de sentiment d'appartenance". Sa situation ne bouge pas, il repart alors sur la route pour la France.


Une phrase a changé sa vie


C'est en avril 2018, qu'il pose sa modeste valise à Bercy dans Paris, "tout d'un coup, je suis choqué par le fait que j'entendais tout ce qu'il se disait autour de moi". Il est très vite amené dans un logement social pour demandeurs d'asile à Ernée dans le nord-Mayenne, c'est là qu'une phrase va changer sa vie, "la première phase qu'on m'a dit, c'est "Ah lui, c'est un francophone" [...] ça a été la première fois que je me sens appartenir. Toute ma vie, on disait "ah toi t'es tutsi congolais, tu n'es pas congolais, tu es rwandais". C'est comme si je me réveillais", témoigne Bisengo.


La phrase qui a changé la vie de Bisengo à son arrivée en Mayenne
Crédit : Alexis Vellayoudom

Il comprend alors très vite que sa francophonie sera une force pour la suite de son parcours. Il décide alors d'aider les autres demandeurs d'asile en leur donnant des cours de français, "si, moi une phrase a changé ma vie donc eux aussi s'ils apprennent le français, ça peut changer leur manière de voir la France et de servir la France. Du coup, je commence à donner des cours de français, de donner des cours d'histoire. Parfois, j'ai donné des devoirs, je leur ai dit "demain, vous venez, sachant le nom de la mairesse, la différence entre la commune, le département, le nom de la première dame de la République, l'hymne national".


Bisengo décide de donner des cours de français
Crédit : Alexis Vellayoudom

Avec ces compagnons de route, il s'investit dans la vie locale, au secours catholique et rencontre même des élèves mayennais, "il faut que ces jeunes apprennent à connaître ces migrants, parce que ce sont eux qui vont vivre avec" confie t-il. Le congolais se souvient même d'une visite dans une classe à Ernée avec des jeunes de 16-17 ans, "une personne me dit "ce sont des jeunes racistes". J'ai dit "non Madame, ne les traitez pas de raciste, ce sont des jeunes qui ne connaissent pas et qui n'ont jamais parlé avec ces migrants" [...] et on a parlé pendant quelques heures et là ça change l'image que nous avions".


Bisengo rencontrent des jeunes
Crédit : Alexis Vellayoudom

La réalité administrative l'amène sur Segré


Tout se passe bien pour lui, "c'était comme une nuit de noce", jusqu'au jour où il est rattrapé par la réalité administrative. La procédure Dublin l'oblige à quitter le pays pour faire les démarches dans le premier pays européen où il est enregistré, la Suède. Bisengo décide alors de faire les recours pour que la France se saisisse de son dossier. Assigné à résidence, il doit pointer à la gendarmerie deux fois par semaine pendant trois mois. Bisengo est finalement arrêté, placé en centre de détention à Rennes, "on me dit que je présente un risque de fuite", précise Bisengo. Le juge des Libertés lui permet d'être libéré et de retourner à Ernée. Une victoire de courte durée puisqu'il est une nouvelle fois placé en détention à Rennes et libéré une nouvelle fois, mais avec l'obligation de quitter l'hébergement d'Ernée. Le jeune homme va bénéficier de la solidarité des habitants de la commune mayennaise.


Bisengo revient sur la motivation des demandeurs d'asile à apprendre le Français
Crédit : Alexis Vellayoudom

Bisengo est finalement envoyé à Segré en juin 2020. Au centre d'hébergement d'urgence, situé sur le site de l'ancien hôpital, il réitère sa démarche, donne des cours de français, contacte les élus, tente d'investir ses compagnons dans la vie locale, la banque alimentaire les a d'ailleurs contacté, "les jeunes sont motivés, ils veulent apprendre. Quand ils viennent me voir à trois heures du matin, "tu peux me donner des cours de français", moi, je leur réponds "je dois dormir maintenant"", lâche t-il avec le sourire. Parmi ses camarades, Bilal, un Afghan, "il ne peut pas écrire "merci" dans sa langue maternelle, mais il apprend à écrire en français", souligne Bisengo. Le jeune homme a même vu un de ses compagnons de chambre apprendre la Marseillaise, "il me disait combien il aime la France, "la France, c'est le premier pays à avoir aboli l'esclavage, moi, je veux servir la France"", se rappelle Bisengo. Ce Nigérien a ensuite entrepris les démarches pour s'engager dans la Légion Etrangère.

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Les demandeurs d'asile ont adressé des cartes postales aux agriculteurs, gendarmes et soignants
Crédit : Alexis Vellayoudom

Aujourd'hui, Bisengo veut continuer de faire le lien entre la France et les demandeurs d'asile, "d'amener les migrants à comprendre et connaître la France et aussi d'amener les Français à comprendre les migrants [...] je crois que c'est important que les jeunes comprennent les migrants. Quand on entend à la télévision, les migrants, c'est un nombre qui est là, on n'a pas l'impression que ce sont des êtres humains". Pour lui, sa situation est maintenant suspendue à la décision de l'OFPRA où il a passé son entretien en novembre.

Pendant la crise, Bisengo et ses compagnons ont réalisé des cartes postales destinées aux gendarmes, aux résidents des EHPAD, aux agriculteurs et aux soignants. Il espère maintenant pourvoir se rapprocher des élus et des associations pour participer à la vie de la commune, "on a aussi des choses à apporter".