Segré. L'histoire retrouvée de Charles Gohier, mort dans un camp de concentration

Il y a 80 ans, le Segréen Charles Gohier décédait dans le camp de concentration de Dora en Allemagne. Une histoire sortie de l'oubli par sa famille 70 ans après.

5 janvier 2024 à 15h27 - Modifié : 12 janvier 2024 à 9h03 par Alexis Vellayoudom

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Charles Gohier avait 19 ans quand il a été déporté vers le camp de concentration de Dora
Crédit : DR

C'est un Segréen sorti de l'oubli par sa famille. Il y a 80 ans, Charles Gohier, 20 ans, mourrait en déportation dans le camp de concentration de Dora en Allemagne. Une histoire restée inconnue pour sa famille pendant plus d'un demi-siècle. Aujourd'hui, elle souhaite raviver la mémoire de ce marchand de cochons conduit à la mort. 

 

Arrêté pour avoir volé

 

Charles Gohier, fils de Charles Gohier, voit le jour à Segré le 29 novembre 1923. Sa famille vit sur la place du Champ de Foire. Lui travaille auprès de son père marchand de cochons et gérant d'un café. La Seconde Guerre mondiale éclate, sous l'envahisseur allemand, la famille de marchand tente de continuer de faire marcher ses affaires, puis le jeune garçon, 20 ans, est arrêté par la gendarmerie. Pour qui ? Pourquoi ? Personne ne s'y intéresse, le garçon ne donnera plus de signes de vie. Alors que lui est-il arrivé ? Cette question, sa famille va mettre plus 70 ans à se la poser. C'est lors d'une cousinade en 2016 avec les descendants de Louis Gohier, l'un des frères de Charles, que tout commence, "chaque famille avait apporté son arbre généalogique pour l'accrocher dans la salle au Tremblay. Et on a constaté qu'en remontant à la génération précédente, il manquait la descendance de son frère Charles. On avait aucune connaissance précise, sauf quelques rumeurs, il aurait eu affaire à la Gestapo", se rappelle Daniel Gohier, le mari d'une membre de la famille. 

 

Raymonde Gohier revient sur ce tabou dans la famille
Crédit : Alexis Vellayoudom

 

"C'était le sujet tabou dans la famille. Ça faisait de la peine aux parents. C'était jamais bien vu que quelqu'un avait eu des contacts avec des Allemands", ajoute Raymonde Gohier, membre direct de la famille. L'histoire passionne et plusieurs membres de la famille se mettent en quête de reconstituer l'histoire de Charles. Emmanuel Drouin, membre de la famille par alliance et professeur d'histoire, est le premier à trouver un document : "je suis tombé sur une fiche allemande qui indiquait sa date de décès, le 1er janvier 1944 avec la mention kollaps qui signifie effondrement, épuisement". Emmanuel se rapproche ensuite du Mémorial de Caen qui lui envoie un dossier d'une vingtaine de pages qui lève le voile sur l'histoire de Charles. "On a appris qu'il avait été arrêté le 29 avril 1943 par la gendarmerie de Segré. Il y a des documents qui parlent d'un vol de fil de fer, d'autres de matériel. En gros, c'était un entrepôt dans lequel la municipalité achetait du matériel qu'elle mettait à disposition des Allemands", décrit Daniel.  

 

Déporté à Dora

 

Charles est ensuite emprisonné à Angers, puis transféré à Compiègne avant d'être déporté en Allemagne dans le camp de Buchenwald. Puis, le 1er septembre 1943, il est affecté au camp de concentration de Dora, une mine secrète destinée à accueillir la fabrication des missiles V1 puis V2. "Il a été envoyé lui pour déblayer et pour creuser les tunnels qui serviront ensuite à la fabrication des missiles. C'est ce qu'on appelle l'enfer de Dora. C'est un travail extrêmement épuisant et dur", souligne Emmanuel. Entre août 1943 et janvier 1944, près de 6 000 prisonniers vont mourir pour creuser ses mines, c'est le cas de Charles qui décédera d'épuisement le 1er janvier 1944. Raymonde a visité la mine en 2023 : "quand on réalise ce qu'il a pu vivre, on reste sans voix. Rentrer dans la mine et ne pas en ressortir pendant 3 mois, nous; on y a été 1h30, on avait qu'une envie, c'était de reprendre l'aire, c'était invivable".

 

 

Comme Charles, beaucoup mourront dans l'anonymat, en raison de la sensibilité du site, "c'était un dossier secret entre les Américains, les Français et les Russes puisqu'à la libération du camp, c'est de là que sont partis plusieurs savants allemands pour la recherche spatiale. Le Dr Wernher Van Braun, qu'était directeur industriel du site, a négocié sa libération avec les Américains en emmenant plusieurs dossiers de recherches qui ont servi de base à la conquête spatiale et l'exploration de Lune", explique Daniel. Au total, 26 500 personnes succomberont dans le camp de concentration de Dora. 

 

Lui rendre hommage à Segré

 

Comme lui, des milliers de Français furent déportés camp de concentration de Dora. Le Livre des 9 000 déportés de France à Mittelbau-Dora, en 2020 dirigé par Laurent Thiery et documenté par une équipe de recherches dont le Centre d'histoire La Coupole à Saint-Omer dans les Hauts-de-France, leur rend hommage. Daniel Gohier a pu échanger avec l'auteur : "au départ, c'est une coïncidence, je vois passer une annonce dans le journal de la sortie de ce livre. J'ai pris contact avec le directeur de la publication pour demander si Charles Gohier figurait dans ce livre. Il m'a répondu que oui et m'a demandé si on avait des photos". 

À l'époque, le directeur de la publication décide d'organiser des cérémonies dans toute la France pour remettre un exemplaire du livre à toutes les familles. L'une d'elles est organisée en 2021 au Mémorial des Déportés de la Mayenne à Mayenne. La famille Gohier s'y rend avec une trentaine de familles. "C'était extrêmement émouvant. Je me rappelle d'un vieux monsieur avec les larmes aux yeux et qui disaient que c'était la première fois qu'on rendait hommage à son père. J'étais les larmes aux yeux", se souvient Emmanuel. "C'était beaucoup d'émotions et en même temps de la satisfaction pour lui, de le sortir de l'anonymat. Enfaîte, c'est comme s'il n'avait pas existé. Il était inscrit nulle part, pas de monuments aux morts, pas de tombe", confie Raymonde, présente elle aussi ce jour-là. 

Reconnu mort en déportation, la famille souhaiterait désormais que son nom, mais aussi ceux des autres déportés de Segré comme le père et le fils Robert Fontaine, eux aussi internés à Dora ou Henri Peluau, résistant, fusillé près de Poitiers, soient inscrits sur le monument aux morts de la commune. S'il avait survécu, Charles Gohier serait aujourd'hui âgé de 100 ans.