Présidentielle : pourquoi nos maires parrainent (ou non)

Certains donnent leur signature par conviction ou par souci de démocratie, d'autres s'y refusent : des maires mayennais et segréens nous ont expliqué leurs choix de parrainage avant l'élection présidentielle des 10 et 24 avril.

4 mars 2022 à 16h24 par Coralie Juret et Alexis Vellayoudom

photo d'illustration

Crédit : Epicioci - Pixabay

Les parrainages pour les candidats à l'élection présidentielle seront clos ce soir à 18h : pas de bulletin en avril pour ceux qui n'auront pas collecté les 500 signatures réglementaires. En Mayenne, seuls 39 maires ou maires délégués avaient donné la leur ce vendredi midi


 


"L'impression d'être abandonné par ceux qui aspirent à gouverner"


 


Un certain nombre de maires ruraux ne le souhaite pas, comme Franck Legeay, à la Bazouge de Chémeré. En 8 ans de mandat, l'agriculteur bio de 55 ans n'a jamais parrainé de candidat à l'élection présidentielle. S'il y a 5 ans, le jeune maire ne se sentait pas prêt, cette année, il a choisi de dire non aux sollicitations. "Pendant 4 ans et 8 mois on nous fout la paix, et puis il y a 4 mois d'agitation qui commencent à la mi-décembre pour aller fort au mois de janvier-février", raconte l'élu de la Bazouge de Chémeré. "Et l'idée est toujours la même, c'est qu'on veut juste recueillir notre parrainage. Et à aucun autre moment on ne vient nous solliciter pour savoir de quoi on a besoin, ce qui nous manque, comment on pourrait mieux fonctionner dans nos communes. L'impression que j'ai moi, c'est de me sentir vraiment abandonné en définitive par ceux qui aspirent à gouverner aux plus hautes sphères de l'Etat".


Une signature que Franck Legeay aurait toutefois pu donner, non par conviction mais par souci démocratique, au seul parti venu le rencontrer malgré son refus au téléphone. "Une idée que j'ai évoquée auprès du conseil municipal que nous tenions mardi. Si d'aventure il y avait eu une problématique dans ce sens, alors j'aurais rappelé les gens de la France Insoumise pour réévoquer mon point de vue". La question ne s'est finalement pas posée, et c'est très bien pour le maire sans étiquette de la Bazouge... "Pour la gestion de ma commune au quotidien, l'étiquette du futur président de la République ne changera rien" dit-il. 


Ce mandat sera d'ailleurs pour lui le dernier, car Franck Legeay se sent usé par "la réglementation qu'on subit au quotidien, pour des gens qui comme moi ne sont pas des maires de métier. Je ne suis qu'un agriculteur au fond de sa ferme bio qui gère une centaine de têtes et des vaches laitières". Au "côté physique de la tâche", s'ajoute "la pression psychologique de mois en mois, d'année en année". "Une pression d'enfer de la part de nos dirigeants, et de la population", que le Covid est loin d'avoir soulagée.


 


Certains se mouillent par souci de démocratie...


 


"Si tout le monde se réfugie en disant "je ne donne pas mon parrainage", nous n'aurions plus de candidat donc il faut quand même se mouiller", lance Jean-Claude Granier, maire de la commune déléguée de La Chapelle-sur-Oudon (Segré-en-Anjou-Bleu). Il a donné son parrainage à Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France Insoumise qui n'avait pas encore ses 500 signatures au moment de son choix. "Qui dit parrainage ne dit pas soutien politique. Ce n'est pas parce qu'on parraine un candidat qu'on est forcément d'accord sur toute la ligne et qu'on va même voter pour lui, ça n'a rien à voir. C'est simplement permettre à quelqu'un d'exprimer ses idées au niveau national et de faire campagne", justifie l'ancien médecin.


Le discours est sensiblement le même du côté de Tony Augereau, maire de la commune déléguée de Gené (Erdre-en-Anjou) : "ça fait partie du processus démocratique". L'élu a choisi de parrainer Yannick Jadot, le candidat d'Europe Ecologie Les Verts, pas par soutien politique mais plutôt pour permettre d'ouvrir le débat sur l'écologie. Le candidat n'avait d'ailleurs pas récolté tous ses parrainages au moment du choix de Tony Augereau.


Enfin, David Olivier, maire de la commune déléguée de La Cornuaille (Val d'Erdre-Auxence) estime que c'est un acte citoyen : "comment on peut se plaindre d'un taux d'absentention et ne pas faire ce qui est bon pour la démocratie ? [...] Que des personnes qui représentent entre 2 et 20 % galèrent pour avoir les parrainages, alors qu'Emmanuel Macron a tous ses parrainages avant d'être officiellement candidat, je trouve ça limite". L'élu de la Cornuaille a accordé son parrainage à Nicolas Dupont-Aignan par souci de représentation, même s'il comprend l'hésitation de certains maires en milieu rural. "Le parrainage public, ça peut poser un réel problème [...] Certains préfèrent parrainer un candidat neutre ou ne pas s'engager par peur [...] En campagne, si un maire parraine un candidat animaliste ou anti-chasse, ça peut être plus compliqué". 


 


... d'autres s'interrogent sur le système


 


"Je pense qu'il faut réinterroger le système", lâche le député Philippe Bolo. L'élu de la 7ème circonscription du Maine-et-Loire (Angers-Segré) revient sur l'origine des 500 parrainages. "Avant c'était 100, puis c'est passé à 500 pour éviter les candidatures farfelues, ou trop nombreuses". Mais selon lui, le nouveau paysage des collectivités pose question : "9 élus sur tout l'Anjou Bleu, ça ne fait pas beaucoup. Les communes nouvelles ne facilitent pas les choses, puisque des maires de communes déléguées n'osent pas parrainer par peur de répercussions envers leurs communes. J'ai senti que dans les communes nouvelles, c'était plus compliqué".


Emmanuel Drouin, co-responsable du Comité Taubira 49 et ancien élu d'opposition à Segré, est lui agacé : "ça m'interroge quand j'entends des élus qui disent qu'ils ne font pas de politique. On fait de la politique quand on est élu. On fait des choix de droite, de gauche, du centre, d'extrême-droite, d'extrême gauche. Je suis assez interrogatif sur ce désintérêt de la chose publique". Pour rappel, Christiane Taubira, portée par une primaire populaire qui a rassemblé 400 000 électeurs, a retiré sa candidature faute de parrainages suffisants. "La principale difficulté, ce sont des pressions de certains partis de gauche, notamment du PS, pour dissuader des maires de parrainer Christiane Taubira [...] Un maire m'a envoyé la photo de son parrainage, je l'avais rencontré et finalement il ne l'a pas donné", témoigne Emmanuel Drouin. Il propose une alternative : "je crois qu'on pourrait réfléchir à un parrainage citoyen qui pourrait légitimer des candidatures issues de la société civile". 


Un discours qui déplaît à Tony Augereau, maire délégué de Gené : "les candidats qui se plaignent des difficultés à obtenir 500 parrainages, ça m'agace. On est plus de 40 000 en France à pouvoir parrainer, il faut seulement 500 signatures. Moi, il y a seulement la France Insoumise qui m'a contacté". L'élu s'interroge plutôt sur les méthodes des candidats : "la France Insoumise a envoyé un courrier à la mairie, OK, puis à mon domicile. Ça, ça me dérange !".